En attendant de retrouver notre unité (Piémont-Savoie-Nice), la Savoie se défend de l’Etat jacobin…
La Vois des Allobroges, 30 Avril 2013
Défendant à l’Assemblée le francoprovençal quand le Gouvernement renonce à ratifier la charte des langues régionales, Bernadette Laclais revendique sa spécificité savoyarde. Interview.
Le mois dernier, le président Hollande est revenu sur sa promesse de ratifier la charte des langues régionales, son 56e engagement de campagne. Et ceci après que le Conseil d’Etat eut estimé que donner des droits à des groupes particuliers irait contre le principe d’unicité du peuple français.
Ce n’est pas l’avis de Bernadette Laclais, députée-maire de Chambéry. Favorable à cette ratification, elle avait déposé une question écrite au Gouvernement le 15 janvier dernier à ce sujet. Posée le même jour qu’une autre question sur la possibilité de voir figurer la croix de Savoie sur nos plaques d’immatriculation, elle concernait plus particulièrement la reconnaissance de la langue dite francoprovençale. Après s’être opposée à l’adoption par les couples homosexuels et donc au mariage pour tous, l’élu socialiste défend ainsi à nouveau une position contraire à celle du Gouvernement. Elle s’en explique dans La Voix.
• Bernadette Laclais, pourquoi cette question sur la reconnaissance du francoprovençal ?
Ce n’est pas un sujet que j’ai découvert en rentrant à l’Assemblée. Lorsque j’étais responsable de la culture au niveau régional, j’avais déjà souhaité qu’une réflexion soit ouverte sur les langues régionales. C’est donc tout naturellement que j’ai fait partie des parlementaires considérant qu’il faut conserver un patrimoine représentatif de l’identité d’un certain nombre de territoires.
• Parlez-vous le francoprovençal ?
Pas du tout, mais je trouve ça dommage, car cela complète ce que nous sommes. La Savoie a la chance d’avoir une histoire atypique, une identité particulière, et il y a peu de territoires qui ont un hymne, un drapeau et une langue. Donc c’est intéressant de le mettre en avant.
• Le breton, le corse, le basque ou l’alsacien sont des langues aujourd’hui reconnues par l’Etat. Pourquoi n’est-ce pas le cas du francoprovençal ?
Il a une influence qui est très large, alors que d’autres langues sont plus circonscrites à certains territoires. Cela a pu être un obstacle.
• Le nom un peu ambiguë de cette langue n’a-t-il pas posé problème ? Car francoprovençal, on ne voit pas trop ce que ça désigne. D’ailleurs, certains parlent aujourd’hui d’arpitan, d’autres de langue savoyarde, et on utilise encore beaucoup le terme de patois. La dénomination de cette langue est-elle selon vous importante ?
Ce n’est pas le problème majeur. C’est plutôt qu’il n’y a pas eu de portage national, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de gens impliqués. Mais même aujourd’hui, je ne sais pas si on aboutira. Le but est surtout d’aborder ce sujet et d’avoir une réponse par rapport à cette question.
• Plus de trois mois après la question, il n’y en a toujours pas…
Eh non…
• Que devrait faire l’Etat pour reconnaître le francoprovençal ?
Déjà, la première reconnaissance serait que des doubles appellations soient possibles sur les panneaux des communes, comme certains l’avaient demandé. Ce n’est pas interdit d’ailleurs, mais ce n’est pas non plus la règle. Ceux qui le souhaitent devraient aussi avoir la possibilité de l’apprendre dans des programmes validés, comme dans certains départements.
• Avec la possibilité de prendre cette langue comme option au brevet des collèges ou au bac.
Oui, c’est la principale revendication.
• Y aurait-il des enseignants pour permettre ça ?
C’est une question, et c’est pour ça que je ne sais pas si on pourra arriver jusque-là. Mais au moins, il est intéressant pour la Savoie de faire reconnaître sa spécificité, qui n’est pas que linguistique. Nous restons quand même des Français rattachés de fraîche date.
• Plutôt annexés…
Oui, en 1860, on parlait d’un plébiscite d’annexion, et voir ces deux mots ensemble, c’est quand même assez extraordinaire. En fait, on a beaucoup d’atouts et je trouve ça bien de pouvoir faire valoir nos différences dans une société où la tendance est à l’uniformisation.
• Dans votre question au Gouvernement, vous demandez aussi des nouvelles de la ratification de la charte des langues régionales. Mais depuis que vous l’avez posée, le Gouvernement a signifié son refus de ratifier cette charte. C’est une sorte de reniement car cela faisait partie des soixante propositions du candidat Hollande.
Non, je ne crois pas.
• C’était bien une des propositions du nouveau Président, et il est revenu dessus.
Ce n’est pas exactement ça… Il faut que l’on continue à porter cette demande, mais il y a aujourd’hui des problèmes beaucoup plus importants qui se posent à notre pays. Je souhaite donc qu’on relativise cela.
• Ce n’est sans doute pas un sujet essentiel pour la France dans le contexte actuel, mais pourquoi être revenu sur cette promesse ? Que craint-on à refuser de ratifier cette charte ?
Ce n’est pas à moi qu’il faut le demander ! Mais je crois qu’on est dans une logique où plus on diversifie, plus il y a des risques que les revendications d’égalité aient des coûts. Vous me demandez d’ailleurs s’il y a aura des professeurs pour apprendre la langue. Sera-t-on en capacité de répondre à la demande des élèves ? C’est essentiellement cette question qui pose problème, pas la crainte d’une désunification de la France. Car à partir du moment où l’on a ratifié les choses et qu’elles sont inscrites dans la loi ou dans des décrets, il peut y avoir des revendications que l’on n’est pas capable de satisfaire.
• Si on ratifie la charte, il y a une obligation de fournir des professeurs ?
Tout à fait, et on est dans une période qui n’invite pas forcément à cette évolution.
• Le problème serait donc surtout budgétaire ?
Oui, je crois.
• Mais cette charte a été signée depuis longtemps, et la France apparaît comme le pays qui refuse de la ratifier alors que ses voisins le font…
C’est un débat qui est effectivement ancien et, personnellement, je ne suis pas opposé à cette ratification car la langue fait partie de notre culture et de notre histoire. Je trouverais donc dommage de ne pas le faire, mais je n’en fais pas une fixation.
• En tout cas, cela fait maintenant deux sujets sur lesquels vous vous opposez au Gouvernement…
Non, je ne m’oppose pas du tout.
• Ben si, vous vous êtes prononcée contre le mariage pour tous et là, vous demandez la ratification d’une charte que le Gouvernement a refusée.
Je n’ai pas déposé de texte de loi, je ne suis pas dans une telle revendication. J’exprime, comme un certain nombre de mes collègues, une question relative à cette charte des langues régionales que j’ai déjà promue quand j’étais conseillère régionale. Mais ce n’est pas de même nature que le texte que vous venez de citer.
• Ce sont juste deux prises de position du Gouvernement avec lesquelles vous n’êtes pas d’accord.
Si je peux me permettre, vous confondez deux choses. D’un côté un texte de loi présenté sur lequel j’ai exprimé mon désaccord. De l’autre, il n’y a pas de texte concernant cette charte des langues régionales.
•Il y a néanmoins un refus de la ratifier, contrairement à la promesse du candidat Hollande.
Mais il n’y a pas de texte qui soit présenté par quiconque aujourd’hui. Il n’y a que des questions. Donc je ne considère pas que je suis dans une opposition au Gouvernement.
• Vous démontrez tout de même que vous n’êtes pas la députée toujours d’accord par principe. Pour le mariage pour tous, vous êtes même allée à l’encontre de la consigne de vote impérative du groupe parlementaire socialiste.
Je ne crois pas au mandat impératif.
• Là, on avait pourtant exigé que vous votiez oui.
Oui, mais je n’y crois pas. Un parlementaire a toujours la possibilité de ne pas voter un texte pour des raisons d’intimes convictions. Alors évidemment, je distinguerais les différents textes. Et même si je ne suis pas toujours d’accord à la virgule près, il y a un engagement politique que je respecte complètement. J’ai été élu avec un parti en soutenant très clairement le président Hollande, donc je leurs suis fidèle. Mais la question de l’adoption touche chacun dans ce qu’il a de plus intime. Il y a quelques sujets qui peuvent justifier une forme d’objection de conscience. Ce qui touche à la vie, à la mort, à la naissance ou aux plus faibles que sont les enfants. Cela ne relève pas d’un clivage droite-gauche.
• En ayant affiché votre liberté de conscience sur ce sujet très polémique, mais aussi sur celui des langues régionales, vous pourrez vous présenter l’année prochaine aux muncipales en disant que vous n’avez pas été une députée « bénie oui oui ». Cela pourrait être utile pour éviter le vote de défiance vis-à-vis du Gouvernement qui se profile…
Quand on doit voter sur des questions aussi essentiel que l’avenir des enfants, ce n’est pas un choix politique. Cela dépend de ce qu’on pense au plus profond de soi. Donc je ne sais pas si c’est quelque chose qui sera apprécié ou pas, mais on ne peut pas imposer qu’au nom d’une consigne de vote, un député fasse quelque chose auquel il ne croit pas. Je ne crois pas que ce soit possible.
• Les députés donnent souvent l’impression qu’ils votent de façon automatique pour des raisons politiques…
On doit aussi avoir une certaine solidarité à l’égard de notre majorité, c’est normal. Mais sur des questions essentielles comme l’avenir des enfants ou la fin de vie, je ne vois pas au nom de quoi l’on pourrait imposer une logique politique.
• C’est pourtant ce qui a été fait.
Je ne dis pas le contraire, mais c’est la raison pour laquelle je ne l’ai pas fait !
• Vous ne pensez pas que cela pourra vous servir lors d’une élection municipale où il y aura sans doute, comme à chaque fois, un vote quasi mécanique contre le Gouvernement ?
On pourra me reprocher d’avoir voté d’autres textes par ailleurs. Mais ce qui peut rassurer, c’est qu’on se pose des questions et qu’on défende son point de vue. Certains m’ont reproché de ne pas voter ce texte, mais beaucoup m’ont dit que c’était courageux d’aller jusqu’au bout de mes convictions.
• Au fait, vous représenterez-vous à Chambéry alors que va se poser la problématique du cumul des mandats ?
Je ne sais pas quand le texte concernant le cumul sera présenté et quelles modalités seront adoptées. On verra, mais on est à un an de l’échéance et c’est un peu tôt pour savoir ce que l’on va faire.
• A Annecy, ils n’attendent pas !
Oui, mais je crois qu’avant de solliciter de nouveau la confiance de nos concitoyens, il faudra faire un bilan d’équipe. Il sera important pour moi d’avoir un échange avec mes collègues et de voir leur analyse.
• Avec votre nouvelle expérience de parlementaire, estimez-vous compatibles les activités de député et de maire ?
Elles sont très souvent complémentaires.
• Vous n’avez pas l’impression d’avoir négligé Chambéry depuis que vous êtes députée ?
Je ne pense pas. Le travail est organisé de façon différente, mais j’étais déjà auparavant un jour ou deux par semaine à la région où j’étais vice-présidente. Après, je ressens la demande de nos concitoyens de limiter le cumul des mandats, que je comprends notamment au niveau du cumul des indemnités. Mais si l’on veut vraiment se poser la question, il faut aborder tous les mandats. Or là, tout ce qui est mandat direct est concerné, mais pas les mandats indirects qui sont considérés comme des fonctions et non comme des mandats. Cela concerne tout ce qui est supra et inter communal. Donc il faut se poser ensemble les bonnes questions, et voir dans quelle mesure il y a des compatibilités ou des incompatibilités. Il y en a peut-être d’ailleurs aussi entre mandat et fonction professionnelle. Pourquoi empêcherait-on des élus d’avoir deux mandats alors qu’on pourrait avoir un mandat parlementaire et une fonction professionnelle de haut niveau ? Toutes ces questions sont légitimes et l’honneur de la démocratie est de se les poser, mais aussi de regarder les choses avec objectivité. Et à l’Assemblée nationale, je crois que cela fait du bien d’avoir des élus locaux, car on est souvent dans le concret et on apporte ce regard. Ce qui me fait peur, c’est une vision qui pourrait être déconnectée du terrain avec des parlementaires représentant un parti plutôt qu’un territoire. Le mandat de maire permet d’avoir cette expérience concrète.
• Comme de parler la langue du pays !
Je ne sais pas, mais j’ai constaté sur beaucoup de sujets que les élus locaux ont un regard très différent et complémentaire. Alors il faut peut-être trouver des modes de fonctionnement différent, mais pas se couper de ça. Il faut aussi mener une réflexion sur les cumuls dans le temps, et il n’y a pas de réponse toute faite. Il faut donc en débattre.
• Pourriez-vous conclure en nous disant un mot en Savoyard ?
Non, je suis désolée…
• Au moins au revoir ?
Là, oui, avec plaisir : arvi !
Entretien : Brice Perrier
Photo : Gilles Garofolin